Manifeste pour un cinéma
auquel les enfants ont droit

(rédigé en octobre 1977,
publié dans O de conduite n°23-24)

Du 27 janvier au 1er février 1976, à la Maison des Arts et de la Culture de Créteil, s'est tenue la première Semaine Internationale sur le Cinéma et les Enfants, au cours de laquelle a été inaugurée la Semaine Cinéma et Enfants de l'Association Française des Cinémas d'Art et d'Essai (A.F.C.A.E.).

Prenant le relais de cette initiative, des responsables de l'ex-section cinéma de la M.A.C. de Créteil et des directeurs, animateurs et administrateurs d'une quinzaine de Maisons de Jeunes et de la Culture ont décidé :

- la rédaction d'un Manifeste qui revendique pour les enfants le droit à un cinéma différent,

- l'organisation d'une IIème Semaine Internationale sur le Cinéma et les Enfants, prévue pour le premier semestre 1978.

Ce manifeste s'adresse à tous ceux qui, dans leurs domaines respectifs, luttent pour une désaliénation des enfants et pour qu'ils acquièrent une plus grande autonomie dans leur environnement social.

Des constats de carence concernant la situation actuelle du cinéma en France ont déjà été dressés, constats auxquels nous ne pouvons que souscrire.

Mais, nulle part, ne figure une analyse critique de la situation spécifique du cinéma pour enfants, tant au niveau de la création / production qu'à celui de la diffusion et de l'animation.

Or, notre pratique quotidienne nous y confronte douloureusement.

Nous appelons l'ensemble des personnalités, organisations, associations en accord avec ce Manifeste, à soutenir notre action auprès des Pouvoirs publics, en signant et en faisant circuler ce texte d'une part, en favorisant l'organisation de débats publics et de manifestations sur ces questions d'autre part.

Nous prévoyons une conférence de presse afin de rendre publique la liste des personnalités et représentants d'associations qui se seront déclarés solidaires de cette action, en remplissant et en nous renvoyant le bulletin ci-joint.

Comité d'Organisation de la IIème Semaine Internationale sur le Cinéma et les Enfants
Françoise de Chalonge (animatrice à la MJC Courbevoie), Bernard Mathonnat (directeur) et Anne-Sophie Zuber (animatrice) - Christian Heintz (administrateur de la MJC Créteil Mont-Mesly), Jean-Jacques Mitterrand (directeur) et Henri Touati (administrateur) - Didier Benoit (directeur de la MJC Créteil-Village) - Jacques Avrillon (directeur de la MJC Epinay Orgemont) - Bernard Ninot (directeur de la MJC Fresnes) - François Clavel (directeur de la MJC Houilles) et Sylvie Pittet (animatrice) - Alain Louédec (animateur MJC La Celle Saint Cloud), Chantal Maire (directrice) et Gérard Prévost (directeur) - Martine Guerrault (administratrice de la MJC Neuilly Plaisance), Noël Orsat (animateur) et Gabriel Vitaux (directeur) - André Abaléa (directeur de la MJC Pontoise) - Hélène Gossel (directrice de la MJC Saint Maur) et Philippe Tisserand (directeur) - Yvette Blin (directrice de la MJC Sartrouville) - Philippe Kaufmann (directeur de la MJC Vallée de Chevreuse), Richard Magnien (animateur) et Khaled Toumi (directeur) - Dany Finance (directeur de la MJC Vandoeuvre) et Jean-Jacques Varret (directeur) - Jack Mercier (directeur FRMJCRP) - Jean-François Camus et Gérard Lefèvre (ex-Section Cinéma de la M A.C de Créteil).

1/ Des carences - des besoins

Les enfants, dans la vie quotidienne, sont constamment confrontés aux images diffusées par la télévision, publicité, bandes dessinées et ne peuvent y échapper.

Dans le domaine du cinéma, le seul choix donné aux enfants à travers ce contexte est généralement la production Walt Disney et la " cinémathèque rose-verte " des films de rigolade et d'aventure : une entreprise de conditionnement idéologique et artistique uniquement basée sur le profit.

Il n'y a pas ou très peu de films français.

Les films étrangers sont distribués uniquement par le circuit non-commercial (fédérations de ciné-clubs Jean VIGO, UFOLEIS, FFCC...).

2/ Pas de cinéma pour enfants actuellement en France. Pourquoi ?

La diffusion des films n'est pas assurée.

L'absence d'encouragement à la création limite la réalisation.

Par ces manques, le Centre National du Cinéma et les distributeurs restreignent à l'évidence l'intérêt du film pour enfants en le dévalorisant vis-à-vis de la profession et des publics.

Le cinéma pour enfants n'est pas ressenti comme nécessaire ni rentable par ceux qui en France, font et diffusent le cinéma (les grands circuits d'exploitation).
Par contre, les mêmes grands circuits d'exploitation utilisent l'enfant comme client consommateur à certaines périodes (le film friandise des jours de fête).

D'où l'opération de conditionnement dès le plus jeune âge de la clientèle cinématographique à un certain cinéma.

Cautionnant ces carences, la production et la diffusion quotidienne d'émissions télévisées destinées à la jeunesse suffisent à l'idéologie dominante pour intégrer l'enfant à la société actuelle et lui en faire adopter les valeurs.

NOUS REVENDIQUONS un cinéma spécifique pour les enfants de moins de dix ans : reconnaissance de la différence (au niveau du développement, du vécu, des intérêts, du statut).

Accepter cette différence ne veut pas dire qu'enfants et adultes vivent dans des mondes séparés.

NOUS REVENDIQUONS un cinéma ni moralisateur (intégrateur), ni enseignant (" instructif "), ni distractif (d'évasion, d'illusion).

NOUS REVENDIQUONS un cinéma qui ne soit pas mineur, mais d'exigence esthétique et de recherche.

NOUS REVENDIQUONS un cinéma qui tienne compte de la réalité sociale où vit et lutte l'enfant.

Un cinéma qui contribuera à lui donner une appréhension de la vie au travers de sa sensibilité et de son imaginaire où naissent réflexion, analyse et critique.

Le " voir " est une activité créatrice.

NOUS REVENDIQUONS un cinéma qui permette à l'enfant d'acquérir une autonomie de comportement dans son environnement social.

3/ Nos revendications aux pouvoirs publics
Nous dénonçons la rentabilité d'un film basé sur un profit immédiat où le capital est à réinvestir le plus rapidement possible.

Le processus économique du " film pour enfants " doit s'analyser en terme d'amortissement sur plusieurs années (générations successives de spectateurs) et non plus sur quelques semaines.

Nous revendiquons : un secteur de production et de diffusion nationalisé (cf. note) : cogéré paritairement par un organisme public (type Centre National de Cinéma), les organismes professionnels du cinéma et de la TV, les associations concernées par le développement d'un cinéma " d'art et d'essai " pour enfants.

Un soutien technique structural et financier aux initiatives. Ce soutien devrait, à tous les niveaux s'accompagner de contrats (entre les pourvoyeurs de fonds et les bénéficiaires) et d'un " cahier des charges".
a) la production : aides à la création (recherche, écriture, réalisation). (cf. note)
b) la distribution : aides à l'acquisition de droits de films, au tirage de copies..., à la promotion des films
c) l'exploitation :

1. détermination des horaires, du nombre des séances, du prix des places (détaxation…)

2. en ce qui concerne l'exploitation indépendante, nécessité d'accords de programmation avec les organismes socio-culturels locaux.

3. développement des salles du secteur associatif (MJC, Comités de quartiers...)

4. aide des pouvoirs publics au secteur non-commercial de diffusion du cinéma pour enfants (les fédérations de ciné-clubs, les Festivals…)

Note : nous dirions maintenant: " Nous revendiquons : un secteur de diffusion (distribution, exploitation) d'intérêt public... " et nous ne demanderions plus d'aide spécifique à la création et production compte tenu des résultats navrants que cette aide publique a engendrés depuis des dizaines d'années dans les ex-Pays de l'Est, ceux d'Europe du Nord, en Angleterre ou au Québec... La création et la production doivent rester " indépendantes " et ne pas être " ciblées vers des publics d'enfants. (NDLR)

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